Les lieux de la mobilité

Publié le par Elisabeth Pélegrin Genel

Les lieux de la mobilité


Certaines consignes n’appellent pas vraiment de commentaires ou de précisions. D’autres au contraire nécessitent un petit débat, un apport bibliographique : Pour les lieux de transit, on explicite la notion de non-lieux de Marc Augé, on réfléchit à sa place : être un observateur extérieur ou être dedans etc. On se demande comment rendre le mouvement, comment faire sentir le déplacement.

Dans le métro.

Des va-et-vient incessants. Des regards qui se croisent, mais ne se fixent jamais longtemps. Il règne une ambiance de gène, d’attente. Tous les corps sont figés.

Le but est simple : aller d’un endroit à un autre.

Personne ne se connaît et pourtant on se frôle, on se touche, on se sent. Une proximité gênante et troublante.

Toutes les classes sont mélangées. Pas de dominante. On est tous égaux. Le temps et la vie sociale s’arrête juste un temps.

Juste le temps d’aller d’un endroit à un autre.

On peut regarder, jauger, imaginer la vie de tous ces gens à leur humeur, les habits, leurs odeurs. Chacun se pose. Arrête la course incessante de sa journée pour se laisser porter quelques minutes. Ne plus rien gérer et attendre.

Attendre d’aller d’un endroit à un autre. 

Audrey Lesca

Ici, on ne circule que dans un sens ; de l’entrée vers la sortie. On ne s’arrête pas, sauf lorsqu’il y a trop de monde pour avancer. Aujourd’hui, il fait beau, et du monde, il n’en manque pas ; à croire qu’ils savaient tous que j’allais venir. Maintenant, étudions le parcours. Il ressemble à une épreuve,  et on est souvent escorté par quelqu’un de plus fort que soi. Pour entrer, on doit monter un plan incliné à pente forte, et on arrive sur un premier pallier. On passe une passerelle en bois, au bout de laquelle on doit se saisir d’une barre à hauteur d’épaule pour faire passer ses pieds en premier vers l’avant afin d’accéder au pallier suivant. On monte deux marches, on tourne en angle droit, on repasse une passerelle, celle-ci faite de métal, mais pas plus rassurante que la précédente. En observant autour, on peut en voir certains, un peu intrépides, sauter sur le plancher comme pour le casser ; ils ne semblent pas penser qu’il n’y a rien en dessous que du vide. Maintenant, on attend parce que quelqu’un a chuté deux personnes devant moi. On le rassure, on lui dit que ça va bien se passer, il se relève et continue ;  le chemin se dégage. Le garçon que je suis a une chemise à carreaux, son pantalon est un peu trop grand pour lui, ses cheveux sont blonds et légèrement bouclés. Il a tout pour être sûr de lui, mais sa démarche est peu assurée. Il doit être un peu plus jeune que moi… je continue derrière lui sur une dernière passerelle en cordes, sans doute la plus effrayante de toutes. On tourne à nouveau en angle droit, on monte à nouveau deux marches. Je vois la chemise à carreau et les boucles blondes s ‘éloigner vers la sortie, c’est maintenant à mon tour ; j’hésite, mais je ne peux pas faire demi-tour. La voie est libre, alors je respire un grand coup, et je me lance sur le toboggan.

Julien Lafitte


Cela n’a pas l’importance ni le rayonnement d’une gare ou d’un aéroport. C’est un rôle ingrat que celui d’un échangeur autoroutier. Pourtant quelques milliers de personnes l’empruntent chaque jour. Le numéro 18 (on leur donne des numéros, pas de nom) du périphérique intérieur est au niveau de la jonction des routes de Revel et de Baziège un entonnoir par lequel les gens arrivent de la campagne pour se rendre en ville via l’avenue Saint Exupéry ou le périphérique.

 Si parfois certains apprécient l’atmosphère des gares et des aéroports, je ne connais personne aimant celle des carrefours routiers. Celui-là n’est pas spécialement laid, on traverse l’Hers, il y a des arbres, de la verdure… Mais chacun est dans sa bulle, dans sa voiture. Dans le métro, à la gare, dans la rue, la proximité des gens n’implique pas forcément un contact social, mais on a un contact sensitif : on voit les gens, on les entend, on les touche, on les sent même parfois.

 Dans sa voiture, on est tout seul, on avance à dix à l’heure. Des autres on n’entend que le klaxon. On avance à dix à l’heure. Des autres on ne sent que les vapeurs de pots d’échappement. On avance à dix à l’heure. Des autres on ne voit que la carrosserie. On avance à dix à l’heure. Et des autres on ne touche que les pare-chocs…

 Et, dans une heure, il n’y aura plus personne jusqu’à ce soir cinq heures, et cela sera pareil, dans le sens inverse, toujours à dix à l’heure.

 Maxime Capelle

 

 Gare Matabiau 12h21 mercredi

 Des gens sont debout, immobiles,   ils regardent tous dans la même direction : le panneau d’affichage des voies et des départs. Ils attendent.

 D’autres se déplacent en tentant de se frayer un chemin entre ces quilles qui comme hypnotisées ne parviennent ni à décrocher leur regard de ce panneau, ni à se pousser pour leur céder le passage.

 La voie au micro rappelle : « les billets doivent êtres compostés avant la montée dans le train ».

 Deux escalators ne cessent de tourner face aux gens immobiles. Celui de droite s’empli pendant 5mn, des gens l’empruntent et se dirigent d’un pas décidé mais assez calme vers la sortie. Ils passent à côté de moi et des autres, mais leurs regards reste fixé sur la porte coulissante qui marque la sortie.

 Tout d’un coup, à l’unisson les gens qui jusqu’ici étaient immobiles, et ne s’étaient pas adressés la parole, ni même regardés, baissent la tête, se détachent du panneau,   saisissent d’un commun accord leur bagage, avec plus ou moins de facilité et se précipitent vers l’escalator de gauche, menant aux voies. Pendant un instant les soupirs de soulagement, les roulettes des valises sur le sol rugueux et les efforts pour soulever les bagages raisonnent dans tout le hall.

 Maintenant, il paraît vide.

 Seule reste la circulation transversale, au flux moins abondant, de voyageurs.

 Un homme téléphone, je ne l’avais pas remarqué avant ce moment de répit, mais maintenant, nous profitons tous de sa conversation : « Quand arrive son train, mais oui je suis à la gare ! Les quais ?? Mais je ne sais pas où ils sont… »

 L’escalator des arrivées se ré-emplit cette fois-ci les voyageurs ont plus de faciliter à traverser le hall, mais leur destination reste immanquablement la sortie.

 Une ombre passe, une seconde, m’empêchant d’observer la situation. Je la vois de dos, c’est une femme avec un gilet jaune fluo, un casque et des protège genou, elle est entrain de faire du vélo à l’intérieur de la gare, certes au ralenti, mais elle est quand même dessus entrain de pédaler…

 Petit à petit de nouveaux voyageurs viennent se repositionner devant le panneau toujours debout comme des piquets. Ah non certains en profitent pour déjeuner, enfin si on peut appeler ça comme ça : un sandwich dans une main, un coca dans l’autre, le tout assis par terre dans un coin avec bien sûr la valise comme coller à eux.

 Une mamie hésite entre s’asseoir par terre au risque de se salir, se mettre accroupi au risque d’avoir une crampe, ou rester debout ce qui ne convient vraisemblablement pas non plus. C’est fascinant car au cours de toute sa réflexion et de tous ces essais pour trouver LA position, elle n’a pas décroché son regard du panneau d’affichage ni sa main de son bagage.

 Attendez, il faut que je vérifie. Je fais un tour rapide de la pièce et effectivement, tous ces gens qu’ils soient debout ou assis, sont agrippés à leur valise comme si c’était le bien le plus précieux qu’ils aient eu au monde. Et tous jettent des regards frénétiques autour d’eux ou fixent le panneau d’affichage.

 Par exemples, un homme  se tortille dans tous les sens pour lire les annonces publicitaires et autres informations, mais sa valise reste comme fixée à sa cheville.

 Un autre jette des regards de biais à tous les bancs, coins et recoins où il pourrait s’asseoir tranquillement et avoir un angle de vue parfait sur le panneau. Manque de peau, ils sont tous occupés. Il sort, et tous cela avec ses bagages sur le dos et  elles n’ont pas l’air légères.

 Une fille lit, avec son sac comme visé entre ses jambes en tailleur et son livre.

 L’escalator des arrivées s’emplit à nouveau les gens, se dirige encore une fois sans une hésitation ni dans leur démarche ni dans leur regard vers la sortie.

 Une ombre me coupe à nouveau. Cette fois-ci un homme, je ne savais pas que c’était autoriser dans les gares…

 Au final, tous ces gens attendent ou sortent d’un transport en commun mais pas que.. Ils partagent aussi un comportement commun, née de sensations communes, qui sont la gêne du regard de l’autre, celle de rester seul debout à attendre, et la peur de perdre quelque chose. Et ils utilisent tous les moyens pour diminuer cette gêne.

 Dans ce lieu qui regroupe tant de monde, dans cette ambiance où tous nos sens sont en éveil : où on entend un brouhaha perpétuel, où notre regard est sans cesse entrecoupé par le mouvement incessant qui nous entoure, où on sent un mélange de sandwich, de journaux, de fumés froide, de moteur, les seuls points fixes ou éléments de repères pour ces utilisateurs du transport en commun sont le panneau d’affichage pour ceux qui partent, la porte de sortie pour ceux qui arrivent et les bagages pour tous.

 Léa Mesples

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